Wolgang Amadeus Mozart
Symphonie n° 38 « Prague », K.504
La symphonie des heures claires
Mozart aimait beaucoup cette symphonie des heures claires et il la jouait souvent par cœur, avec exaltation, dans les salons qui daignaient encore l’accueillir encore vers la fin de sa vie. Mozart avait conscience du degré de perfection artistique auquel il était ainsi parvenu dans le domaine de la symphonie où Haydn régnait en maître.
Achevée à Vienne en décembre 1786, elle fut exécutée pour la première fois à Prague, d’où son surnom. Prague a souvent joué le rôle de cité consolatrice par rapport à Vienne, la coquette et surtout l’ingrate. Mozart y fut souvent fêté depuis les Noces à Don Giovanni. Mahler plus tard saura aussi s’y consoler.
La symphonie n° 38 doit être considérée comme l’œuvre - sœur du concerto pour piano n° 25, composée exactement en même temps. Tous deux écrits à l’apogée de leur genre respectif, ils possèdent beaucoup d’éléments complémentaires, depuis l’absence de clarinettes jusqu’à la dévotion maçonnique de l’harmonie universelle qui les sous-tend. Une sorte de musique des sphères semble vouloir s’y répandre.
Soucieux de prouver à ses chers praguois la maîtrise de l’adulte de 31 ans qu’il était maintenant, Mozart s’attaque aux masses sonores, à l’émancipation des lignes instrumentales en traitant de façon non plus galante et ornementale les bois et les cuivres, mais en partenaires actifs des cordes. Symphonie non pas brillante et imposante, mais portée par «une gravité attentive et une ardeur de vivre», cette œuvre en ré est bâtie curieusement pour l’époque : elle est construite seulement en 3 mouvements, donc sans menuet, et ses mouvements eux-mêmes sont bâtis avec la rigueur rare chez Mozart de la forme sonate.
Il y a sans doute une symbolique maçonnique des chiffres, 3 en particulier, mais surtout bien des citations de ses Œuvres passées et à venir qui en éclairent la signification.L’ombre de la Flûte Enchantée à venir, mais aussi celui du saut dans l’inconnu de Chérubin des Noces sont présents.
On approche un peu ce mystère frustrant de la musique de Mozart qui nous possède en souriant : ce pouvoir vient sans doute de ce mélange entre ardeur et recueillement, de ce tragique présent mais surmonté par la simple joie de vivre, de chanter, jusqu’à la dernière heure, l’heure du loup.
Cette symphonie fait partie des derniers mots de la musique de Mozart : une révélation souriante.Musique heureuse, la symphonie Prague permit à Mozart de s’enivrer encore des bravos, avant que de connaître si peu d’années plus tard, l’injure de ne même pas pouvoir réunir 50 personnes à ses concerts de souscription. En décembre 1786, le temps ne lui manquait pas encore, et la musique coulait profonde et dense.
1er mouvement : Adagio puis allegro
Une introduction lente, très riche et complexe, une œuvre avec de larges accords ponctués de profonds silences. Majesté rituelle bien sûr, mais déjà la statue du Commandeur ou le climat de la Flûte se devinent. L’allegro qui succède sera vif et impétueux, utilisant fortement le contrepoint. Il est bâti sur deux thèmes, l’un fiévreux, l’autre plus chantant, presque consolateur.Ce premier mouvement développé est à lui tout seul plus long que les deux autres.
2e mouvement : Andante
Ce mouvement en sol majeur entremêle sérénité et tragique, en utilisant un chant sinueux entre chromatisme et contrepoint et des alternances incessantes entre mode majeur et mineur : tendresse et gravité apparaissent.
3e mouvement : Presto
Pour faire plaisir à Prague, Mozart s’auto-cite avec le thème de Chérubin s’enfuyant à l’arrivée du Comte. Traité avec ironie et jubilation, ce court mouvement est un résumé de la « folle journée" où la poursuite des notes suit celle des sentiments.Il s’agit bien pourtant du saut dans l’inconnu par lequel se termine énigmatiquement l’œuvre.
Dans cette halte heureuse sur le chemin de retour de Vienne, où la vérité ne pesait pas lourd devant les idoles et les serpents, cette musique exalte la pulsation transparente du monde. Mozart ne veut pas savoir que l’éternité est souvent tempête, c’est la vie immédiate encore une fois cueillie qui l’enivre encore une fois.Mozart aux moments sombres gardera contre lui, comme une peluche du bonheur, cette fontaine limpide.
Certes « même dans les yeux des poissons coulent des larmes » (proverbe zen).
Mais ici ne regardons que le mouvement des poissons.
Gil Pressnitzer