Yves Charnet
Arles, 14 avril 2006
Arles, 14 avril 2006
Mon ami, le torero Juan Bautista, était venu, ce matin, à la novillada d’ouverture. Son côté bon élève. Je m’y connais. M’y reconnais. J’attendais depuis la veille. Rôdant autour des arènes. Cette plaie de pierre dans la ville. Surveillant Arles qui s’invente sa Feria.
Merveilles soldées. Passer comme on peut l’attente qui ne passe jamais. Juan-Bautista avec son portable, ses textos, son répondeur en permanence. Moi, par la marche, le travail dans la chambre, la recherche d’un restaurant ; la considération du Rhône en son ampleur nocturne – fleuve tout en profondeur selon sa surface crevée de reflets fabuleux. J’ai repensé – penché, hier soir, sur le pont de Trinquetaille – à cette formule chère à Nougaro. « Les artistes ? Des gangsters de la grâce. Des voyoux. » Je ne sais si le nom du baroque troubadour dira quelque chose à Bautista. Nul homme ne m’aura sans doute été plus cher. Mon seul chanteur de blues. Quelques cendres dans la Garonne. Même plus ça. Rien ne m’aura consolé de cet animal à voix de swing. Rien. Pas même la console du son. Quand repassent les vieux fantômes de cette voix filmée. Rimes ou prose.
Le monstre sacré, c’est, ce matin un géant à crinière crânement blanchie. Dans le Cyrano de mes vingt ans, Jacques Weber donne toute sa mélancolique saveur à ma réplique préférée : – « Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie, / On sent, – n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! / – Mille petits dégoûts de soi, dont le total / Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure, / Et les manteaux de duc traînent, dans leur fourrure, / Pendant que des grandeurs on monte les degrés, / Un bruit d’illusions sèches et de regrets. ». De Guiche salue, vingt ans après, l’arrivée du torero d’Arles. Tonitruante embrassade. Aujourd’hui que les célébrités – l’an dernier, Gérard Jugnot ; d’autres trognes dorées ; ducs d’un jour… – sont les people. Et que le peuple, c’est nous, sur les gradins. Les gens. Bautista finit par voir ma casquette rouge qui ne voit que lui. Ma barbe poivre et sel. J’aime ce matin d’un bleu presque Pâques. Inventions de l’instant.
Yves Charnet